Concours littéraire de l’Association des Ecrivains Bretons

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Bonjour à tous

L’AEB organise en 2018 un concours d’écriture du 1er janvier au 30 septembre 2018, intitulé « LETTRE ou COURRIEL », ouvert à toute personne de plus de 18 ans.

À titre d’inspiration, mais sans obligation de les reproduire, voici des phrases extraites des ouvrages de la romancière–épistolière, Claire Fourier, Plus marine que la mer (Éditions Le Serpent à plumes) et Il n’est feu que de grand bois (Éditions La Différence).

Entre deux extraits, j’ai choisi celui-ci : 

« Me voici au bord de la mer, Rolf. J’avais besoin d’être seule et triste à ma guise. Besoin de pouvoir être dans la lune, même à table. Je ne voulais plus que l’on me dise : « À quoi penses-tu ? », ne supportais plus la conversation du « légitime »… (extrait de Il n’est feu que de grand bois).

Je vous propose mon oeuvre, intitulé « LE GRISARD », en souvenir d’un séjour magnifique sur la Côte Atlantique lors du Salon du Livre de Kercabellec. Nous étions à Mesquer, près de Quimiac. C’est un hommage à la Bretagne et aux liens indéfectibles tissés entre une mère et sa fille. Un hommage à la mer. La mère et la mer ne faisant qu’une…

                                                                     

                                                                    « LE GRISARD »

Ma chère enfant,

Je t’écris parce que tu me manques. Ton absence m’est aussi douloureuse que la piqure des méduses quand nous allions nous baigner dans la Baie du Cabonnais à Mesquer, t’en souviens-tu ? T’en souviens-tu de ces moments inespérés où nous nous retrouvions enfin seules sans chercher à fuir les regards des autres, ces autres dont tu craignais tant les commentaires acerbes.

Tu es partie, trop lasse pour lutter, mais si courageuse à la fois, prompte à renverser les montagnes pour t’offrir ce que je n’ai pas eu, la liberté infinie d’imaginer l’horizon sans les entraves de nos destins corsetés. Quelle folle audace… Tu n’avais pour maître mot que cette hardiesse dont je ressasse maintenant les effets sur mon entourage. On me traite de folle, moi, ta mère, pour n’avoir pas su distinguer ces éclairs d’insolence dans ton regard et ce comportement dont tu avais fait preuve après que ton père t’aie déclarée suffisamment mature pour épouser le riche Madec.

Tu es partie en me laissant ce billet, glissé sous mon oreiller. Un message écrit du plus bel élan, celui de la jeune femme dont le coeur palpite à l’idée de monter seule dans un train pour gagner une ville inconnue. La capitale ou ailleurs. Loin, loin du clapotis des vagues, de ce ressac infini d’une mer infidèle, mais qui ne cesse de revenir lécher les rochers de son sel. Tout cela ne te manque-t-il pas ? Et les plaintes des mouettes dans le ciel quand elles font leur sarabande le soir venu dans des tourbillons insensés de danseuses du Bolchoï ? Et ces couchers de soleil, roi du ciel et complice de la lune, quand il s’écrase lentement à l’horizon de l’océan jusqu’à ne plus être que le point insignifiant de sa grandeur déchue ?

Moi, j’ai besoin de cette mer qui m’inonde, de cette odeur d’iode qui me fait chavirer, du souffle du vent dans les pins qui m’envoient leurs aiguilles. Je ne saurais oublier le moment précis où tu as évoqué ton envie de tout quitter. C’était un matin d’avril, un de ces matins où la terre exhale ses parfums après la pluie, où les sous-bois qui longent la mer ont le charme des temples enfouis et les rochers escarpés de la côte, l’invitation improbable au danger. La bruyère sauvage frisotait sous le vol rasant des goélands. Leur chant avait cette plainte victorieuse des oiseaux de proie chassant les poissons à la surface de l’eau.

Une torpeur indéfinissable engourdissait mon esprit. Tout me paraissait si irréel, jusqu’à la pâleur du soleil et cette faïence d’un ciel délavé auquel j’accrochais mes pensées fugaces. Et avec l’énergie du désespoir, tu me parlas de ton projet, tu n’avais plus envie d’écouter les reproches de ton père ni ceux de ma soeur. Tu voulais partir, loin, le plus loin possible de la Bretagne, tu voulais découvrir le monde, dévoiler ses sens et goûter à ses interdits, tu voulais tout et tant à la fois.

Et moi, je regardais la mer pour contenir mes larmes. La mer, cet océan de couleurs sombres, emportait mes envies de pleurer. J’avais besoin d’être seule et triste, sans avoir à justifier mon humeur maussade ni les larmes qui menaçaient de rouler sur mes joues. D’une façon subtile, le chagrin avait pénétré mon coeur comme les griffes d’un animal marquent la peau de sillons sanglants. Un besoin étrange de liberté empoignait tes envies. Tu ne pouvais plus supporter la conversation des uns et des autres, de cette banalité qui rythmait ton existence. Te réfugier dans les songes et oublier de répondre. En avais-tu le droit ? Seulement la possibilité, rompre le pacte social d’une conversation inutile avec des gens si peu intéressants. Hugo disait : «  Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d’une âme qu’au fond de la mer. » Il n’avait pas tort car le poète a toujours raison, dit-on.

Tu étais là, à m’apprendre l’impensable, ce que toute mère redoute et pense comme inéluctable tout en refusant les évidences. Partir, mais où ? Tu es si jeune et si belle. Une proie tentante pour n’importe quel Don Juan de pacotille qui te fera mirer ces exploits imbéciles. Mais je m’égare car tu es fait d’un bois solide, celui des pins qui plient sous le vent, mais ne rompent pas.

Tu es partie et nous sommes, ton père et moi à fixer l’océan dans nos fauteuils d’osier sur la terrasse de la grande maison, face à la Pointe du Touru, à Quimiac où nous passons tous les étés. Nous guettons l’improbable et sans nous le dire car nous pensons à toi, à ce déchirement de l’âme qui rend les matins tristes et les nuits silencieuses. Il y a parfois comme une forme d’irrationalité quand le coeur s’ébroue car je ne me souviens plus pour quelle raison j’ai tressailli en voyant ce goéland virevolter autour de nous, un peu égaré loin du rivage et de ses frères. C’était un « grisard », un jeune qui n’avait pas encore le plumage de ses aînés. Tandis que le clapotis des vagues rythmait nos interrogations, il eut le comportement apaisé d’un être ayant pour notre habitat l’envie de se poser. Je pensais à toi, jeune femme libre et déterminée qui avait quitté ses pairs pour s’envoler vers d’autres cieux. Le grisard étira ses ailes d’une belle envergure en lâchant son pleur, sa lamentation, son cri et je compris à cet instant que tu reviendrais un jour. Et lui, messager de bel augure, aura-t-il la constance des amis fidèles qui n’ont pas le sourire facile ? Les plumes lissés par le noroît et le soleil humide, le jeune goéland m’apprit à être patiente, à laisser mon oisillon revenir vers la maison.

Porte toi bien, mon amour.

Je t’aime.

Ta maman. © 2018, Paris

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